L’intersyndicale estime que les débats sur la prise en compte de la pénibilité sont largement inachevés. Elle réclame des gages du gouvernement avant la reprise des négociations.
La réforme des retraites va améliorer « la prise en compte de la pénibilité́ » au travail, avait promis le Gouvernement, le 23 janvier, à l’issue de la présentation du projet de loi en Conseil des ministres. L’examen de l’article 9 sur la pénibilité, au Parlement et au Sénat, devait être l’occasion d’obtenir des avancées sur ce sujet sensible. Mais la loi sur la réforme des retraites, promulguée le 15 avril au Journal officiel, ne retient finalement que l’élargissement des bénéficiaires du compte professionnel de prévention (C2P) et la mise en place d’un congé de reconversion professionnelle. Le Conseil constitutionnel a en effet censuré le suivi médical des salariés concernés par la pénibilité́, comme la possibilité d’un « départ anticipé » à la retraite pour certaines catégories de fonctionnaires dites « actives » ou « super actives » comme les policiers.
L’inquiétude des ouvriers qualifiés dans le BTP
Même les quatre facteurs majeurs de pénibilité (port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et risques chimiques), supprimés dans le cadre des ordonnances Macron en 2017, n’ont pas été réintroduits dans le texte. Pourtant, ce sujet est plus que jamais d’actualité́ avec le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. De nombreux métiers pénibles restent exclus du dispositif. En outre, 37 % des salariés estiment qu’ils ne pourront pas continuer leur travail jusqu’à la retraite, selon une récente étude du ministère du Travail.
Dans le BTP, ce sont surtout les ouvriers qualifiés (50 %), en particulier dans le gros œuvre du bâtiment (46 %), qui s’inquiètent le plus. Sans parler de la pénibilité́ psychique (RPS ou risques psychosociaux), qui a été volontairement écartée du débat politique. Le nombre de salariés présentant une détresse psychologique a progressé de 3 points par rapport à juin 2022, avance le cabinet Empreinte Humaine. Notamment chez les moins de 29 ans (55 %), les femmes (49 %) et les managers (44 %). Aujourd’hui, toutes les organisations syndicales partagent le même constat : la pénibilité́ au travail est encore loin d’être reconnue, y compris « dans les métiers de l’encadrement au sens large ».
De nombreux points de friction avec Matignon
Le gouvernement a certes proposé de prendre « à bras-le-corps » la question de « l’usure professionnelle » dans les prochaines semaines, pour tenter de « renouer le dialogue » après l’adoption de la réforme des retraites avec l’article 49.3, afin de bâtir, ces prochains mois, « un agenda social pour un nouveau pacte de la vie au travail ». Mais les organisations syndicales n’y croient guère et imposent leurs conditions.
Opposant un front uni contre la réforme des retraites, les syndicats réclament désormais « des gages du gouvernement », en particulier sur la pénibilité́. Et la CFE-CGC d’insister : « Il est plus que temps que l’usure psychologique soit traitée au même niveau que l’usure physique, et qu’elle soit reconnue comme un élément important de la pénibilité́ au travail ». Aujourd’hui, les dossiers de la pénibilité, comme de l’emploi des seniors ou la révision des ordonnances travail sont sur la table des négociations. ■
Encadré
François Hommeril : « Il faut laisser du temps à ces négociations »
« Nous sommes en désaccord total avec le terme gouvernemental de prévention de l’usure, qui ne décrit pas la réalité de ce qu’est la pénibilité au travail. L’usure sous-entend une accumulation, or les risques psychosociaux ne sont pas cumulatifs, ils peuvent arriver à n’importe quel âge et ils dépendent de l’organisation et du management de l’entreprise. Ce sont des risques sans seuil : une faible exposition peut avoir des conséquences graves. Le terme usure ne décrit absolument pas ce que sont les conditions de pénibilité et les risques que l’on prend suivant son environnement de travail. Nous voulons – et nous y arriverons – imposer la question des RPS dans le cadre de la négociation.
J’ai par ailleurs fait remarquer qu’il fallait laisser du temps à ces négociations. Une bonne négociation doit documenter tous les sujets de façon complète et partagée. Elle suppose de d’abord échanger sur les enjeux, sur les données nécessaires à se comprendre, et tout cela prend du temps. Il faut respecter ce paramètre ».