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À quoi sert réellement la « démission présumée » ?

Ce nouveau dispositif entend lutter contre la stratégie d’abandon de poste. Il n’est cependant pas certain qu’il soit beaucoup utilisé par les salariés, comme par les employeurs.

L’article L1237-1-1 du Code du travail, issu de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (par amendement du 5 octobre 2022 porté par les groupes MoDem, Renaissance, Horizons et Les Républicains), introduit dans le code du travail un nouveau dispositif : celui de la « démission présumée ».

En quoi consiste-t-il exactement ? Son objectif a été clairement énoncé par le gouvernement : lutter contre la stratégie de l’abandon de poste utilisée par des salariés peu scrupuleux (selon le service statistique du ministère du Travail, les abandons de poste représenteraient plus des deux tiers des licenciements pour faute grave ou lourde, soit chaque année environ 123 000 ruptures). Stratégie qui consiste, plutôt que de démissionner, à se faire licencier (disciplinairement) pour abandon de poste.

L’intérêt de la manœuvre pour le salarié ? Le bénéfice des allocations de chômage. Pour le ministre du Travail, lutter contre ces coupables manigances est question de justice ; et plus spécifiquement de justice entre salariés. Il releve ainsi devant la commission des affaires sociales, fin septembre 2022, « qu’il y a une faille : un salarié, qui procède à un abandon de poste, a accès à des conditions d’indemnisation plus favorables qu’un salarié qui démissionne ». Voilà̀ l’urgence : mettre fin à cette situation où des travailleurs malhonnêtes se voient mieux traités que leurs collègues intègres. Il a, par ailleurs, été́ souligné lors des débats parlementaires que les abandons de poste peuvent causer de lourds problèmes en particulier aux petites entreprises, mises face à une situation d’incertitude juridique quant à la vacance des postes…

Le dispositif de démission présumée a donc pour but de mettre fin à ses pratiques « frauduleuses ». Mais comment ça marche ? Le texte est clair dans le cas d’un salarié qui a abandonné́ volontairement son poste (en excluant évidemment l’hypothèse où il se mettrait en grève ou exercerait son droit de retrait). S’il ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste dans le délai fixé par l’employeur, il est présumé́ avoir démissionné à l’expiration de ce délai. Ce délai ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’État ; un projet de décret fixe ce délai à 15 jours. Disons les choses plus simplement : l’employeur pourra considérer, au terme d’un court délai et après demande d’explication et de reprise du travail, que celui qui a abandonné son poste sans justification a démissionné. Le licenciement ne s’impose plus pour rompre la relation contractuelle et faire sortir le salarié des effectifs de l’entreprise.

Reste que le salarié pourra tout de même contester la rupture de son contrat de travail, sur le fondement de cette présomption, directement devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes (dans le cadre d’une procédure d’urgence au fond). Le juge statuera alors dans un délai d’un mois à compter de sa saisine. Mais quel pourra être l’objet de la contestation du salarié ? Sans doute pourra-t-il prétendre que l’abandon de poste trouvait sa raison même dans le comportement fautif (harcèlement moral ou sexuel…) de l’employeur ou des personnes dont il devait répondre. Si le juge estime que le salarié avait un motif légitime d’abandonner son poste, il requalifiera alors la rupture en licenciement illégitime ou illicite. Encore faudra-t-il que le salarié saisisse le conseil des prudhommes. Mais combien le feront ?

L’employeur utilisera-t-il ce nouveau mécanisme ? On peut sérieusement en douter. D’abord parce qu’il ne présente pour lui aucun véritable avantage, l’employeur n’ayant généralement que faire des allocations de chômage « indûment »versées à son ancien salarié. Ensuite parce que, sous de nombreux aspects, c’est une source possible de contentieux, nombre d’incertitudes juridiques émaillant son régime. Pourquoi alors prendre le risque d’en faire usage ? Faisons le pari que l’employeur préfèrera les certitudes attachées aux méthodes éprouvées de faire un licenciement pour faute grave. Quant aux salariés, ils seront sans doute incités à développer d’autres stratégies pour contraindre l’employeur à les licencier… La démission présumée, un « dispositif mort-né » ?

Article issu des Cahiers du BTP n°146 (avril 2023)