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François Hommeril : « J’attends du nouveau gouvernement qu’il nous redonne la place qui nous revient »

Dialogue social, réformes, emploi des seniors, engagement des cadres : le Président de la CFE-CGC définit les priorités de la Confédération en cette rentrée incertaine.

NB : cette interview a été réalisée pour le n°152 des Cahiers du BTP, qui paraîtra début octobre. En voici la version intégrale.

Face au très complexe calendrier politique et social qui s’annonce, quels sont les sujets prioritaires que vous souhaitez aborder ?

François Hommeril : En France, il n’y a qu’un seul cercle de pouvoir aujourd’hui, c’est le pouvoir politique d’un gouvernement régulé par l’Assemblée nationale. Les partenaires sociaux occupent la place qu’on veut bien leur laisser et depuis une quinzaine d’années, les organisations syndicales et patronales voient le champ naturel de leurs responsabilités par délégation se restreindre. L’État, à travers les gouvernements successifs, s’inscrit dans cette quête irrépressible de reprendre le pouvoir aux corps intermédiaires, dans le seul but de ponctionner une partie de la manne liée à la collecte des fonds gérés paritairement.

 

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un authentique déséquilibre de la démocratie sociale en France. Partant de ce constat, j’attends du nouveau gouvernement qu’il reconnaisse les erreurs commises et nous redonne la place qui nous revient. J’ajouterai que ce n’est pas l’organisation d’un sommet social, comme l’a suggéré le Premier ministre, qui va inverser la tendance. Nous espérons plus que de belles promesses, surtout en cette période conjoncturelle dégradée.

La priorité de la CFE-CGC porte sur la reprise économique et la recherche d’une meilleure répartition de la valeur. L’économie française va mal, tous les indicateurs sont au rouge, le nombre de défaillance d’entreprise a atteint un record sur les vingt dernières années. Les remontées du terrain que nous observons sont catastrophiques dans l’industrie, mais aussi dans le BTP, un secteur où la conjoncture est particulièrement morose.

Que préconisez-vous pour inverser la tendance ?

Vous noterez que cette morosité ambiante vient contredire le discours assez lénifiant de Bruno Le Maire à l’occasion de son départ de Bercy, en septembre dernier. En fait, son bilan économique est le pire enregistré depuis la dernière guerre : aujourd’hui, la France est le plus mauvais élève de la classe de l’Union européenne et des pays de l’OCDE. Cette piètre performance est liée à la politique absurde de l’offre menée par les précédents gouvernements, qui consiste à accorder des aides financières aux entreprises sans aucune exigence particulière, pour atteindre l’objectif sacré du plein emploi. Cela ne fonctionne pas.

À mon sens, il faut reprendre l’ensemble des indicateurs macro-économiques pour les remettre d’équerre. Faire de la politique revient à faire des choix structurants, qui permettent aux entreprises de se développer dans tous les secteurs économiques et de renouer avec une croissance qui profite à l’ensemble du tissu économique et notamment aux plus petites entreprises, les TPE et les PME. Parce que ce sont elles qui créent de la valeur économique.

Souhaitez-vous voir la réforme de l’assurance-chômage définitivement abandonnée ?

La réforme de l’assurance chômage représente la parfaite illustration du fonctionnement de l’État, qui agit comme un vampire. Elle conduirait à ce dispositif incroyable où l’État ponctionnerait 12 milliards d’euros à l’Unedic dans les trois prochaines années, tout en maintenant les cotisations à leur niveau actuel et en baissant les prestations chômage. Cette décision gouvernementale a été prise avant l’été et elle empêche le régime d’assurance chômage de se désendetter pour être à l’équilibre.

La dette de l’Unedic a augmenté en raison de la prise en charge d’un tiers du chômage partiel pendant le Covid. Mais l’assurance chômage est un dispositif que Bruno Coquet, un expert du marché du travail, qualifie « d’affaire la plus profitable du monde » : c’est un régime qui génère entre 30 et 40 % de résultat net, c’est-à-dire la différence entre les cotisations perçues et les prestations versées. Le groupe AXA rêverait d’avoir l’assurance chômage dans son portefeuille ! Tout ce que cherche l’État, c’est à ponctionner des milliards partout où ils sont disponibles. Et la réforme des retraites s’inscrit dans la même mouvance. Il faut évidemment réouvrir ce dossier.

Justement, vous avez combattu la réforme des retraites. Vos revendications ont-elles évolué ?

Nos arguments d’il y a un an et demi n’ont pas changé. Dans ce système par répartition, ce n’est pas le régime des retraites complémentaires qui pose un problème, c’est uniquement la retraite de base, qui représente le plus gros poste de la CNAV. Elle doit faire face à une baisse de la productivité des entreprises, une autre de mes priorités, qui impacte les salaires et donc le pouvoir d’achat des salariés. Cela fait 15 ans que l’État finance les emplois déqualifiés !

Cela dit, le déficit de la CNAV ne représentait, selon la Cour des Comptes, que 10,8 Md€ en 2023. C’est très peu par rapport au déficit de l’État, qui avoisine 150 milliards d’euros. Une fois de plus, l’État veut ponctionner des milliards en diminuant, cette fois, son obligation de régler les retraites des fonctionnaires – pour mémoire, le régime des retraites de la fonction publique ne relève pas d’un système par répartition – et va financer la baisse de son engagement par les autres régimes de retraite en prétendant qu’il s’agit d’un régime unique permettant de recourir aux vases communicants entre secteurs pour parvenir à un équilibre global des comptes. Finalement, le gouvernement fait des réformes qui pèsent sur la vie des travailleurs et génèrent des ressources complémentaires, afin de lui permettre de combler des déficits qu’il a créés par ailleurs.

Comment expliquez-vous ce problème de productivité des entreprises ?

Nous assistons chaque jour à une fuite considérable des cerveaux depuis la France. C’est une réalité très concrète et le gouvernement ne fait rien. Ce manque de productivité impacte l’équilibre des régimes sociaux, mais aussi la croissance et la compétitivité de nos entreprises. Avec seulement 2,2 %, voire 2,3 % du PIB consacré à la recherche publique, la France est à la traîne en Europe comme dans les pays de l’OCDE. L’objectif européen est pourtant fixé à 3 % du PIB. En Allemagne, il se situe à 3,5 % et en Corée du Sud, il s’élève à 4,5 %.

Le Medef propose une reprise des négociations sur l’emploi des seniors. Quelle est votre position sur la gestion des fins de carrière ? 

Les propositions du Medef sont un peu faibles et il ne faut pas oublier que c’est le patronat qui a torpillé la négociation en avril dernier. Ma proposition revient à respecter l’équilibre entre la courbe du temps de travail et celle de la rémunération. L’objectif est d’avoir une rémunération qui se réduit dans une moindre mesure par rapport au temps de travail. Lorsque le temps de travail passe de 100 à 60 %, la rémunération doit passer de 100 à 80 %, étant entendu que l’État doit mettre en place des mécanismes incitatifs pour aider les entreprises à financer ce dispositif.

Il faut aussi prendre en considération la carrière professionnelle, qui s’articule autour de trois phases. La première porte sur l’apprentissage : au moment où le salarié débute dans une entreprise, il va passer une dizaine d’années à se former. C’est une période où il va exprimer toute sa créativité. La deuxième phase correspond davantage à une période de consolidation où, bien souvent, il monte en responsabilité, accepte un poste d’encadrement et devient expert. Cela signifie plus de pression sur ses épaules. Enfin, la troisième et dernière phase de la carrière implique une nouvelle organisation, privilégiant la transmission des savoirs par la formation, avec moins de pression sur les horaires de travail, afin de remobiliser les seniors sur des responsabilités importantes qu’ils ont la capacité d’assumer.

Le pouvoir d’achat et la hausse des salaires sont d’autre sujets de préoccupation…

Aujourd’hui, de plus en plus de salariés subissent le nivellement des salaires par le bas. Les techniciens et agents de maîtrise que la CFE-CGC représente, perçoivent un salaire correspondant à un Smic + 10 % ou + 20 %. Et par extension, le premier échelon des cadres est désormais touché par la précarisation des salaires, du fait de la politique de baisse salariale menée par les entreprises, y compris au sein du secteur du BTP.

Pourtant, le moteur de l’engagement professionnel est d’avoir une carrière qui progresse dans le temps et sur le plan salarial évidemment. Il ne s’agit pas de dire : je vais prendre des responsabilités en devenant contremaître sur un chantier ou de vouloir suivre une formation pour devenir ingénieur sans la perspective de gagner plus. Aujourd’hui, les trajectoires de carrière n’ont pas du tout la perspective qu’elles avaient il y a 20 ou 40 ans. Donc les motivations ne sont plus les mêmes, ni la dynamique d’entreprise. Pourtant, c’est l’investissement des membres de l’encadrement dans l’entreprise qui pousse à son développement. Pour que cela fonctionne, l’entreprise a besoin de personnes sur le terrain qui se disent prêtes à prendre des décisions et à porter leurs équipes pour progresser. Ce mouvement s’est arrêté.

Pensez-vous que cet engagement de l’encadrement est en train de disparaître ?

Oui, effectivement, cette dynamique de l’encadrement est en train de disparaître, on assiste clairement à un refus de l’engagement et les entreprises risquent d’en crever. De plus en plus de personnes diplômées pouvant prétendre à des postes d’encadrement dans le secteur intermédiaire, des services, de la construction ou de l’industrie, préfèrent choisir un emploi moins bien rémunéré et sans contrainte de responsabilité et de charge mentale. Ils ont pris le parti d’avoir l’esprit libre lorsqu’ils rentrent chez eux pour s’occuper de leurs enfants ou de leurs hobbies. Et pour cause, les salaires de milieu de grille, du technicien jusqu’à l’ingénieur de cinq à dix ans de carrière, ont été incroyablement comprimés. Sans compter qu’en face, le coût du logement a triplé en 40 ans. Par conséquent, nous sommes confrontés à un système qui ne peut plus fonctionner.

Doit-on bâtir un « nouveau contrat social », comme le suggère le spécialiste des questions sociales Antoine Foucher, dans son essai, Sortir du travail qui ne paie plus ? 

Oui, il faut un nouveau contrat social. Nous l’appelions déjà de nos vœux en 2022 dans « Restaurer la confiance », le document dans lequel la CFE-CGC exposait ses propositions pour répondre à la crise. Il y a urgence à restaurer un contrat social fondé sur la confiance entre les pouvoirs politiques et les partenaires sociaux. Il peut, nous en sommes persuadés, relancer l’activité économique de notre pays.