De plus en plus d’employeurs et de salariés usent de cette nouvelle faculté. Mais la recevabilité d’éléments de preuve déloyaux n’en reste pas moins strictement encadrée… L’analyse de Patrice Adam, professeur à la faculté de droit de Nancy.
La tentation est souvent forte, pour l’employeur comme pour le salarié, d’enregistrer à l’insu de son interlocuteur, telle ou telle conversation, telle ou telle scène pour apporter, s’il en est besoin, la preuve, par le son ou par l’image, de ses allégations (harcèlement sexuel ou moral pour le salarié ; vol ou autres turpitudes pour l’employeur…). Mais ces enregistrements sont-ils recevables devant le juge prud’homal, là où se déroule l’essentiel des contentieux du travail ?
Pendant très longtemps, la réponse a été négative. Déloyaux, ces éléments de preuve étaient purement et simplement irrecevables, quel que soit celui qui entendait les produire devant le tribunal. Nous n’en sommes, aujourd’hui, plus là. La reconnaissance en droit français, sous influence de la Cour européenne des droits de l’Homme, d’un droit à la preuve, a bousculé les solutions et les équilibres jusque-là fermement consacrés.
Il est désormais possible de produire devant le conseil des prud’hommes des enregistrements clandestins. Et l’on voit, effectivement, de plus en plus d’employeurs et de salariés user de cette nouvelle faculté. Mais attention, la recevabilité d’éléments de preuve déloyaux n’en reste pas moins strictement encadrée.
Ce n’est en effet que dans des conditions très strictes que les parties au procès pourront se montrer déloyales. Lesquelles ? Il en est deux qui se cumulent. Elles sont identiques, que ce soit l’employeur ou le salarié qui invoque une preuve déloyale. D’abord, il faut que la preuve déloyale produite soit indispensable au triomphe des prétentions de celui qui s’en prévaut. Pour le dire simplement, cela signifie que le juge n’acceptera de connaître l’enregistrement clandestin que s’il est établi que celui qui le produit n’avait pas d’autres moyens de rapporter la preuve des faits qui nourrissent ses prétentions judiciaires.
Dès lors qu’il existe une alternative probatoire, la preuve déloyale reste irrecevable. Encore faut-il que cette alternative soit « sérieuse ». Ainsi, l’employeur ne peut pas s’opposer à la production d’un enregistrement audio clandestin prouvant son comportement violent au seul motif que la scène en question s’était déroulée devant son associé et d’’autres salariés de l’entreprise. En effet, les chances que le premier ou les seconds témoignent contre l’employeur sont très faibles, pour ne pas dire quasi-inexistantes. La preuve déloyale n’apparaît ainsi que comme l’ultime recours des causes (qui, à défaut, seraient) perdues… On le comprend, la preuve déloyale pourrait être, dans les affaires de harcèlement sexuel (mais aussi moral), où les comportements déviants de l’agresseurs se produisent souvent « hors témoins », très utile à ceux qui en sont les victimes. Mais il est encore une seconde condition à respecter. Les éléments produits doivent être strictement proportionnés au but poursuivi ! Ne pourra ainsi être produit que la partie de l’enregistrement clandestin, en lien direct avec les faits reprochés… Le reste de l’enregistrement devra être écarté des débats.
Il va de soi que ce qui vaut pour un enregistrement clandestin vaut également pour d’autres moyens déloyaux de preuve, comme par exemple, la filature par un détective privé (moins rare qu’on ne le croit…), ou l’utilisation de stratagèmes (recours à une fausse identité pour accéder à certaines informations sur un groupe Instagram ou Facebook privé…). La même « balance des intérêts » s’applique également aux « preuves illicites », c’est-à-dire à celles qui portent atteinte au secret des affaires ou au droit à la vie privée… Quand la recherche de vérité fait ployer l’exigence de loyauté au nom du droit à un procès équitable !
-> Lire l’article complet de Patrice Adam dans Les Cahiers du BTP n°156

