La vie amoureuse du salarié relève de sa vie personnelle. Sauf dans certains cas très particuliers… L’éclairage de Patrice Adam, Professeur à l’Université de Lorraine
Pour vivre heureux, vivons caché ! L’expression proverbiale trouve une notable exception dans l’entreprise : y dissimuler ses relations amoureuses peut parfois être source de grand malheur (en tout cas de licenciement pour faute).
On sait que 26 % des salariés indiquent avoir déjà envisagé une relation amoureuse au travail. Parmi eux, 62 % ont déjà franchi le pas… 38 % sont même actuellement en couple avec une personne rencontrée sur leur lieu de travail (enquête en ligne menée par PageGroup auprès de 1 097 personnes).
L’amour et la vie personnelle
Bien entendu, la vie amoureuse du salarié relève, en principe, de sa vie personnelle. L’employeur n’a pas à la connaître et le salarié n’a pas à l’en tenir au courant (sauf si, évidemment, il veut bénéficier de tel ou tel droit attaché à sa situation de couple, par exemple).
Le patron n’est pas le gardien des foyers et ne peut légitimement s’immiscer dans la gestion des affaires de l’intime. Le salarié aime qui il veut, le temps qu’il veut. L’employeur ne saurait donc lui faire grief disciplinaire d’avoir noué une relation amoureuse avec un autre salarié de l’entreprise (ou même d’y avoir mis fin), et peu importe la relation hiérarchique qui peut lier, professionnellement, les deux amants.
Une clause du règlement intérieur interdisant ce type de relation entre salariés serait d’ailleurs, sans conteste, illégale, portant une atteinte intolérable aux libertés individuelles (on se souvient de l’invalidation des « clauses de célibat », autrefois imposées aux hôtesses de l’air, au motif qu’elles violent la liberté matrimoniale).
De même, l’employeur ne saurait reprocher d’avoir choisi comme partenaire de vie tel ou tel individu, fût-il lié, amicalement ou familialement, à un concurrent. Que cette relation fasse naître des craintes et des suspicions chez l’employeur, on peut l’entendre… Cela fait cependant longtemps que la perte de confiance n’est plus une cause légitime de licenciement.
L’obligation de loyauté du salarié
Mais si l’employeur ne peut pas s’opposer à telle ou telle union, peut-il au moins exiger que le salarié l’en informe ? Sans aucun doute, dès lors que la relation amoureuse apparait en lien avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice…
Illustration avec l’affaire jugée le 29 mai 2024 par la chambre sociale de la Cour de cassation : le salarié, qui exerçait des fonctions de direction, chargé en particulier de la gestion des ressources humaines, et qui avait reçu du président du directoire de la société diverses délégations en matière d’hygiène, de sécurité et d’organisation du travail, ainsi que pour présider, en ses lieu et place, de manière permanente, les différentes institutions représentatives du personnel, avait caché à son employeur la relation amoureuse qu’il entretenait avec une autre salariée exerçant des mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel, et cela dans un contexte particulièrement tendu (grève, plan de compression des effectifs…). Pour n’en avoir rien dit à son employeur, le DRH est licencié pour faute grave… Licenciement jugé légitime par les juges. La raison ? En gardant le silence, le salarié a violé son obligation de loyauté.
Une situation marginale
Il ne faut pas donner à cette décision une portée qu’elle n’a pas. Ce n’est qu’au regard des circonstances particulières de l’affaire – les fonctions professionnelles que les deux amants exerçaient et le contexte économique difficile de l’entreprise, laissant craindre, du côté du DRH impliqué, un véritable conflit de loyautés – que le salarié était tenu d’une obligation d’information…
Informé, qu’aurait alors pu faire l’employeur ? Non pas mettre un terme à la relation, mais prendre les mesures nécessaires pour éviter de placer le salarié dans une situation de potentiel conflit d’intérêts (entre ceux de l’entreprise pour laquelle il travaille ou ceux que représente et défend celle/celui qu’il/elle aime).
Reste que dans la majorité des situations, les amours du salarié ne seront guère de nature à véritablement perturber l’exercice de son activité professionnelles (et en cas de litige, ce sera à l’employeur de faire la démonstration de la réalité des turbulences mises en avant…). Pour être heureux, il pourra alors rester caché.
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